Je te plumerai la tête – Claire MAZARD

Depuis l’enfance, Lilou voue une admiration sans bornes à son père. Elle ne lui trouve aucun défaut. Depuis que la mère de Lilou est hospitalisée, le duo père/fille est plus soudé que jamais. À la demande de son père, Lilou rentre aussitôt après le lycée chaque soir. C’est lui aussi qui lui a conseillé, pour son bien, de cesser de se rendre à l’hôpital : à quoi bon consacrer trop de temps à cette mère fragile ? Avec tact, les amis de Lilou, qui s’inquiètent pour elle, vont l’aider à appréhender qui est réellement ce père envoûtant, sûr de lui et omniprésent.

Depuis plusieurs années, les ouvrages de développement personnel sur les pervers narcissiques et manipulateurs pullulent. Les œuvres fictives sont moins nombreuses et, à ma connaissance, celle de Claire Mazard est inédite (ou quasi) en littérature ado. Elle marque aussi une différence majeure dans le lien qui unit le manipulateur et sa victime; ils ne sont pas amants mais père et fille.

Comment remettre en doute l’honnêteté et la bienveillance de celui qui nous a mis au monde et élevé depuis toujours ? Cela semble invraisemblable pour Lilou : son père est son pilier, son référent, son « Papa Lou ». Elle a une relation fusionnelle et privilégiée avec son père. Du moins, c’est comme cela qu’elle voit les choses.

« Quand j’étais gamine, parfois, il se mettait en colère contre moi. Le voir contrarié me déclenchait des maux de ventre terribles, et même des vomissements. Mais je dois le reconnaître, à chaque fois, c’était pour mon bien. »

Le roman multiplie ces phrases subtiles, au sens caché, que nous seuls savons traduire puisque nous connaissons déjà la nature du paternel. Quelle frustration et quelle tension de ne pas pouvoir prévenir l’innocente héroïne du piège qui s’est refermé sur elle. Sans compter que sa mère, hospitalisée, refuse de la voir. Lilou n’a plus que son père… Progressivement, la jeune fille sombre, culpabilise, se coupe du monde, se sent misérable à côté de ce père formidable… La moindre apparition de ce dernier me donnait des frissons dans le dos. La construction du livre et son écriture sont très bien pensés. On assiste impuissants à une véritable violence psychologique subie par l’adolescence. Et les personnages secondaires ? La mère de Lilou, sa tante, ses amis… Pourquoi n’interviennent-ils pas ?

« Ta tante Jo s’est embrouillée avec ta mère. Elle a failli nous faire séparer ta mère et moi. Elle a failli brouiller ta mère avec ses parents. C’est à cause d’elle que tu ne connais pas tes grands-parents ! Parce qu’elle colporte des mensonges. Mais motus ! Faut pas en parler. Secret de famille. »

Je n’ai pas pu m’empêcher de rapprocher cette lecture de la bande dessinée Tant pis pour l’amour que j’ai lu récemment et qui donnent une foule d’explications sur ces personnalités toxiques. Quand Lilou commence à admettre que son père agit mal, elle a bon espoir qu’il change, qu’il aille mieux si elle se conduit bien… Mais quand on commence à connaître le sujet, on sait que c’est peine perdue, voire que ça peut, à l’inverse, accentuer l’emprise du manipulateur. Le père de Lilou ment constamment, n’exprime aucune affection, devient fou quand quelque chose le contrarie… C’est maladif et pour nous, pauvres lecteurs témoins, ça rend dingue ! Ce livre nous tient en apnée du début à la fin. Les péripéties n’ont pas besoin d’être nombreuses et rocambolesques; avec ses personnages profonds et son écriture maîtrisée, la sauce prend immédiatement.

C’est un livre à la fois dérangeant et addictif. C’est une très bonne chose de proposer un ouvrage sur le sujet qui soit accessible à un jeune public qui pourra dorénavant y être sensibilisé.

Note :

04

Auteur : Claire Mazard
Éditeur : Syros
Format : broché
Date de sortie : 6 février 2020
Genre / thématique : thriller psychologique
Nombre de pages : 509
ISBN : 9782748526783

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